Honte

Honte, d’où viens-tu, toi qui t’installes durablement sur la peau de mon visage ?

Honte, d’en être réduite à attendre que la vie se passe en moi, se passe sans moi, à travers moi sans influence sur son passage.

Honte, d’être l’anti-héro, celui qui a raté son voyage.

Honte, de n’avoir satisfait aucune des attentes déposées en moi par la vie, et cela quels que soient mes âges.

Honte, de l’errance détournée de la joie.

Honte, des efforts vains et d’une application trop scolaire pour échapper à cet enfer – la dépression et m’enfonce dans un échec supplémentaire.

Je n’y crois plus. La foi semble avoir disparu. Seule subsiste dans le temps cette image du pendu.

Honte, je veux rompre.

Honte, je romps, je quitte.

Honte, je m’en vais. Désormais tu te vivras sans moi et je me vivrai sans toi.

La vie me traverse sans frein sur son passage.

J’aime comme une enfant

Je voudrai me foutre la paix. Me laisser tranquille avec cette fâcheuse tendance cœur d’artichaut qui me bouleverse émotionnellement en libérant anarchiquement un feu d’artifice hormonal !

Dernièrement j’ai croisé un homme récemment installé dans mon voisinage. Son énergie m’a de suite attirée, malgré le dos tourné et la vingtaine de mètres qui nous séparait : une énergie mêlant une (grande) dose d’oralité qui suscite le maternage, une portion de schizoïdie qui appelle la poésie de l’âme et un brin de psychopathie, ma madeleine de Proust de l’amour perverti de mon enfance.

Quoi de plus rassurant en matière de relation amoureuse qu’un univers connu ?

Quel âge ai-je quand je suis séduite par l’énergie d’un homme ?

Je reprends. Cet homme croisé à quelques « précieuses » reprises, j’en ai observé de loin les habitudes pour tenter de cerner le contexte amoureux … Première supposition : un homme fraîchement séparé. Cette supposition appelait à une plus profonde investigation. Etait-il pour autant célibataire ou disposé à ne plus le rester ? Le champ des possibles s’élargissait et mes hormones de l’amour entraient alors en conflit avec les hormones de survie. Celles-ci étant encore les plus belliqueuses, je me réfugiais, pour éviter d’exposer mes sentiments, derrière un principe fabriqué sur mesure pour l’occasion : un homme fraîchement séparé a besoin de temps pour se reconstruire … Peu importe finalement de savoir s’il était ou non célibataire, etc., une sagesse qui me dépasse à inventer cette solution pour préserver mon homéostasie.

J’ai donc, pour ma préservation, feint l’ignorance, outrageusement rejetante, lorsque je le croisais. Pourtant, refouler cette attirance accroissait le fantasme d’une relation possible avec lui.

J’observais néanmoins son absence les semaines sans ses enfants et j’en déduisis qu’il avait une petite amie. Je parvins ainsi à mettre de côté mes émois pour me recentrer sur mes priorités de femme / mère célibataire et abstinente depuis un certain temps.

Petit aparté : quand je vois la façon dont j’aime les hommes (environ l’âge d’une petite fille de 5 ans qui voudrait être aimée par son papa, ou aux alentours de l’âge d’un nourrisson qui attend d’être nourrie de la bonne façon par une maman aimante) je salue ma sagesse innée qui m’incite à renoncer temporairement aux bénéfices des plaisirs charnels. Je tisse tout juste mon cocon de protection pour permettre la mue vers un joli et joyeux papillon qui saura savourer le nectar de sa fleur préférée. Pour m’éviter le prix élevé dû aux conséquences des relations inadaptées, j’ai décidé de respecter mon temps de maturation.

N’empêche que !

Quelques mois plus tard, je recroise par hasard mon voisin ténébreux. Je me cache car la femme de 40 ans que je suis a les joues et le menton couverts d’acné (à lire mon poème sur les pansements-peau). Inutile d’espérer attirer qui que ce soit étant donné le rejet de soi qui me colle à la peau.

Pourtant il m’arrive d’oublier mon apparence et tout devient possible. Les rencontre du hasard sont devenues plus fréquente malgré le confinement ou grâce à lui, et les saluts les accompagnant, parfois à m’en décrocher la mâchoire.

L’empreinte énergétique de ce nouveau prince charmant dont je me suis éprise, évoquait celle de mon précédent prince, augmentant ainsi son pouvoir d’attraction, et offrant l’illusion d’une version mise à jour de la précédente relation, sans le passif commun. Fourvoiement évidemment.

J’orientais une partie démesurée de mon énergie à son endroit.

Et ce soir je le croisais. Il était avec son amie. Je saluais pour éviter de trahir une quelconque déception ou sentiment d’humiliation. Et je tentais de me consoler par des justifications provenant de l’extérieur et enclines au mépris de l’amour.

De retour à moi, je traverse un inconfortable sentiment d’humiliation, de ridicule, d’inadéquation avec la réalité qui me bloque la poitrine et m’enserre le crâne. J’éprouve de la compassion pour la « petite » moi, triste et profondément déçue et humiliée de ne pas être aimée en retour de l’amour qu’elle offre au monde. Le rejet.

Réitérer ces expériences en m’exposant avec précaution à une situation libérant du matériel traumatique me permet de contacter avec plus de précisions l’endroit de la blessure. Ainsi, je peux sentir cette fissure du cœur, je peux la nommer, et ça fait moins peur. Je peux lui mettre un baume apaisant et cicatrisant (l’écriture est actuellement ce baume). J’observe que ces situations d’expositions aux déchirements de l’enfance sont de moins en moins abusives par rapport à ce que j’ai connu dans un passé récent ou lointain.

L’adulte en moi peut comprendre, grâce au mental-allié, que le type d’amour dirigé vers cet homme était inapproprié pour vivre une relation amoureuse. Et l’exposition, par le biais des rencontres fortuites, subtilement dosée pour extraire la quintessence de l’expérience sans avoir à expérimenter une situation d’abus.

Pour conclure, je voudrai partager une expérience répandue à travers le monde qui consiste à adopter comme réflexe -lorsque je me sens en proie à un débordement émotionnel – le baillônnement de mon chagrin par la consommation de sucre ou de gras (le chocolat mélange les deux c’est idéal…). Or, ce soir, adhérant pleinement à mes blessures de rejet et d’humiliation, je me suis entendue dire à voix haute :  « je ne veux pas mettre du sucré là dessus ! c’est un chagrin que je vis, ça ne mérite pas du sucré dans ma bouche… ». Peut-être ai-je enfin acquis un peu d’une douceur intérieure qui fait office de tampon le temps de trouver le remède le plus adapté au type de blessure.

Cette rencontre m’encourage à poursuivre le tissage de mon cocon.

L’amour conditionnel d’abord

Lors d’une relation perverse, j’ai revécu le désespoir d’une blessure d’abandon, et pourtant j’ai prié intensément le retour d’une personne malsaine,  ayant sciemment trahi mon essence.

Mes appels ont été entendus. De nombreuses fois, cet homme est revenu. Se déployait une nécessité de libérer d’abord en moi ces vestiges d’un passé perverti par un amour aliénant.

De nombreuses fois, j’eus besoin de me raconter l’histoire d’un amour  – illusoire – dépassant le cadre de cette vie. Et je retombais dans cette addiction à la mélancolie du conte de fée.

Cette attente, c’est celle, légitime, de me créer une enfance heureuse. Et par le truchement de cette relation pervertie, je m’offrais une chance de me libérer enfin d’un passé omniprésent.

Mon prince charmant tant adulé, tel un magicien, semait la confusion. Une confusion placée sur un piédestal, tant celle-ci lui offrait les costumes adéquates pour vivre plusieurs vies en une seule.  Ces costumes, tels des écrans de fumée, étaient tissés de vice, voilés par la posture d’un dévoilement faussement amoureux.

Un autre ton, chéri par mon prince, était cet ennuyeux spectre de la peur de l’engagement.

J’eus besoin de croire que ces beaux mots, tels de précieux atours, exprimaient en retour la qualité de mon amour.

J’eus besoin de voir la personne dans sa sa perverse nudité pour comprendre la nature véritable de l’amour que j’attirais à moi et mon insatiable faim d’être enfin aimée.

Et je compris l’amour que je refusais à moi.

Aujourd’hui, même s’il subsiste des reliquats de ce type d’attachement (pervers), il existe aussi une mémoire vive de l’amour que je me porte. Mémoire que je cultive avec d’intenses efforts, pour en faire une nouvelle peau.

A un autre niveau de compréhension s’est manifestée, à travers cette relation malsaine, la conscience d’une posture sacrificielle mimée sur un fonctionnement maternel et sur la croyance assommante du soit-disant bien-fondé de l’élargissement d’un amour inconditionnel – nécessaire entre un enfant et sa mère – à l’ensemble de mes relations.

Surplombée – puisqu’il s’agissait d’exercer une véritable pression spirituelle sur moi – par la quête d’un état d’amour « inconditionnel »,  et la confondant avec une aspiration légitime de m’offrir une enfance heureuse, je m’infligeais une double peine : non seulement en expérimentant à nouveau des assauts de maltraitances psychique et émotionnelle d’un extérieur persécuteur, mais également en négociant, jusqu’à l’épuisement, avec des sentiments d’inaptitude à donner et d’incapacité à recevoir l’amour, le seul concevable alors étant estampillé « inconditionnel© ».

Rien à donner.

Rien à recevoir.

Prendre.

Laisser prendre.

J’avais scellé les qualités d’authenticité, de compassion, d’adhésion et de dévouement dans le coffre fort de l’amour inconditionnel. Enchaînées à une logique binaire, je m’étais faite un devoir d’incarner ces qualités d’être pour me donner l’accès à l’inconditionnel de l’amour.  Ainsi, sans ce sacrifice de soi, sans ce don d’amour à ce qui est perverti (et qui pourtant encourage l’amour malsain), inutile d’espérer une enfance heureuse car c’est bien de ce dont il s’agit puisque l’enfance est cet espace légitimant ce fameux amour inconditionnel.

Or certaines vérités sont bonnes à rétablir. Dans ce monde de matière brute et transformée, j’ai quitté l’enfance, je suis adulte. Certes, une adulte légèrement zinzin et versatile émotionnellement (la lune gouverne mon signe).  C’est pourquoi j’adopte actuellement un nouveau sens de l’amour. Je comptabilise la quantité et j’évalue la qualité d’amour qui circulent dans mes relations, au risque du retour sévère de bâton dans mon expérience quotidienne si sa répartition est inégale ou la situation relationnelle abusive.

Aimer « à condition d’équilibre » me ressemble davantage et me permet d’adhérer un peu plus à la nécessité et à l’intelligence de rendre à chaque âge de la vie ses responsabilités.

J’aime à condition de porter d’abord sur moi ce regard amoureux que je convoite tant dans le regard des hommes.

« Mon roi » a repris contact et j’ai répondu présente après plusieurs semaines de tourments. Toutes ces voix à l’intérieur de moi se disputaient le dernier mot. C’est finalement mon mental, précieux allié, qui a pris la décision de lui écrire. Ainsi depuis quelques semaines, après une coupure totale d’une année et presque deux ans de relation en dents de scie, nous nous sommes reconnectés. La distance ne m’empêche pas de dépenser plus d’énergie dans sa direction que dans la mienne. Je retombe alors dans ce reliquat de dépendance affective qui me vide de ma joie et modifie ma personnalité, tendant à m’absenter de moi-même.

Et paradoxalement, c’est la présence à cet état d’absence qui me permet de détecter les subtils changements d’énergie quand la relation se déséquilibre et que je suis à la limite du débordement… Adhérer à cette réalité ressemble souvent à une lutte entre différentes parties de moi.

Et opérant telle une évidence …

L’écriture vient comme une ressource salvatrice pour détisser les nœuds et tisser un nouveau fil de de vers à soi. Et peu à peu le cocon qui se tisse autour de moi permet à la cicatrisation des déchirements de l’enfance d’opérer dans le rythme qui est le mien et de rendre à l’autre la responsabilité de ses errements.

A suivre…