Précipice

Novice de l’amour. Impatiente de comprendre de quoi il s’agit. J’ai bientôt 43 ans. Jusque maintenant l’amour était une confusion totale : entre construction mentale et chamboulement émotionnel dévastateur. Peu d’occasions de goûter au long et fastidieux processus d’élaboration d’un lien d’amour authentique. J’admets que les conditions initiales de mon existence étaient un frein, disons l’occasion de comprendre ce que n’est pas l’amour.

J’ignore si je goûte l’amour, j’ai aujourd’hui le goût du « c’est possible que ce chemin là m’y conduise… ». J’ai la possibilité de l’emprunter ou de persister dans le profond sillon creusé de mes inatteignables projections d’un idéal de partenaire amoureux, amical, professionnel, familial, etc.

Ce nouveau possible chemin c’est celui de reconnaître l’inconfort de ce que je vis présentement et de rester avec.

Ce nouveau possible chemin c’est l’accueil du désir, qui enfin fait surface, d’être en lien coûte que coûte, y compris dans le conflit, y compris dans l’abandon de soi, y compris dans une posture sacrificielle et d’accueillir dans le même temps ma contribution au sabotage des liens relationnels lorsque ceux-ci « menaçaient » de perdurer dans le temps.

J’ai besoin d’être en lien et j’ai déposé la solitude sur un piedestal.

J’ai besoin d’être en lien, je l’ai créé, multiplié avec une date de péremption.

J’ai besoin d’être en lien, et suis restée aveugle au rejet de son existence malgré les nombreuses expériences.

J’ai besoin d’être en lien. Au présent. Comment accueillir ce qui menace ma tour d’ivoire d’effondrement ?

J’ai besoin d’être en lien. Au passé. Je connaissais détruire, rompre, salir, attaquer, abîmer, saboter le lien pour le faire correspondre à la réalité qui fût jadis la mienne te concernant Lien.

J’ai besoin d’être en lien. Je trouve gênant, dérangeant ce qui est étranger à ma façon d’avoir été en lien. Je trouve envahissant, violent, dangereux ce qui ressemble à ma façon d’avoir été en lien.

J’ai besoin d’être en lien. Comment concilier mon hypersensibilité au rejet et mon besoin d’être en lien, sans m’enfermer dans ma tour ni te faire disparaître ?

Je sens mon coeur se fermer comme un refus de te laisser entrer.  Je souffre de ton absence Lien. Je souffre du poids de mon armure qui empêche mon corps, mon coeur de se laisser pénétrer par tes rayons d’amour.

Si je te dis oui c’est admettre qu’il existe une autre façon d’aimer que celle que je me suis fabriquée, c’est admettre que je me suis trompée, c’est fissurer mon armure et me croire en danger.

Te laisser entrer dans ma vie c’est me risquer à être visible. Ne plus disparaître.  Continuer d’exister malgré le lien, ou peut-être grâce à lui ?

Quand je te choisissais, et que tu décidais de t’éloigner, mon univers s’effondrait. Depuis je porte ma lourde armure et j’ai préféré te rejeter avant d’être rejetée. Quand tu t’éloignes, Lien, la tristesse m’enveloppe et la répétition de l’expérience ravive le desespoir, l’Expérience initiale.

Je reconnais l’empreinte de l’Expérience initiale qui se présente à moi aux étapes importantes de ma vie : une irrésistible attraction vers la peur de sombrer dans un desespoir sans fin, sans fond. Le fond, souvent je l’ai visité et je connais le chemin pour en sortir. Se laisser traverser.

Dans le secrêt de la solitude la tristesse peut se dire à soi, mais parée de la pudeur du Lien, elle peut se mouvoir pour me guérir. Le goût de la tristesse traverse mon coeur, le fond, le fend, le fissure. La faille laisse alors pénétrer ton rayon d’amour, Lien, et me réchauffe doucement.

Il se peut que je me perde à nouveau dans les offres du Lien, que je m’y abandonne, passionnément, mais peuvent aussi surgir de nouvelles expériences de Grâce et de Joie… J’y ai laissé quelques plumes, c’est vrai, le prix du risque de vivre.

Je me sens au bord du précipice, la peur au ventre, prête à sauter dans le vide d’une Vie… aimante et bienveillante, à nouveau. C’est sans danger.