J’aime comme une enfant

Je voudrai me foutre la paix. Me laisser tranquille avec cette fâcheuse tendance cœur d’artichaut qui me bouleverse émotionnellement en libérant anarchiquement un feu d’artifice hormonal !

Dernièrement j’ai croisé un homme récemment installé dans mon voisinage. Son énergie m’a de suite attirée, malgré le dos tourné et la vingtaine de mètres qui nous séparait : une énergie mêlant une (grande) dose d’oralité qui suscite le maternage, une portion de schizoïdie qui appelle la poésie de l’âme et un brin de psychopathie, ma madeleine de Proust de l’amour perverti de mon enfance.

Quoi de plus rassurant en matière de relation amoureuse qu’un univers connu ?

Quel âge ai-je quand je suis séduite par l’énergie d’un homme ?

Je reprends. Cet homme croisé à quelques « précieuses » reprises, j’en ai observé de loin les habitudes pour tenter de cerner le contexte amoureux … Première supposition : un homme fraîchement séparé. Cette supposition appelait à une plus profonde investigation. Etait-il pour autant célibataire ou disposé à ne plus le rester ? Le champ des possibles s’élargissait et mes hormones de l’amour entraient alors en conflit avec les hormones de survie. Celles-ci étant encore les plus belliqueuses, je me réfugiais, pour éviter d’exposer mes sentiments, derrière un principe fabriqué sur mesure pour l’occasion : un homme fraîchement séparé a besoin de temps pour se reconstruire … Peu importe finalement de savoir s’il était ou non célibataire, etc., une sagesse qui me dépasse à inventer cette solution pour préserver mon homéostasie.

J’ai donc, pour ma préservation, feint l’ignorance, outrageusement rejetante, lorsque je le croisais. Pourtant, refouler cette attirance accroissait le fantasme d’une relation possible avec lui.

J’observais néanmoins son absence les semaines sans ses enfants et j’en déduisis qu’il avait une petite amie. Je parvins ainsi à mettre de côté mes émois pour me recentrer sur mes priorités de femme / mère célibataire et abstinente depuis un certain temps.

Petit aparté : quand je vois la façon dont j’aime les hommes (environ l’âge d’une petite fille de 5 ans qui voudrait être aimée par son papa, ou aux alentours de l’âge d’un nourrisson qui attend d’être nourrie de la bonne façon par une maman aimante) je salue ma sagesse innée qui m’incite à renoncer temporairement aux bénéfices des plaisirs charnels. Je tisse tout juste mon cocon de protection pour permettre la mue vers un joli et joyeux papillon qui saura savourer le nectar de sa fleur préférée. Pour m’éviter le prix élevé dû aux conséquences des relations inadaptées, j’ai décidé de respecter mon temps de maturation.

N’empêche que !

Quelques mois plus tard, je recroise par hasard mon voisin ténébreux. Je me cache car la femme de 40 ans que je suis a les joues et le menton couverts d’acné (à lire mon poème sur les pansements-peau). Inutile d’espérer attirer qui que ce soit étant donné le rejet de soi qui me colle à la peau.

Pourtant il m’arrive d’oublier mon apparence et tout devient possible. Les rencontre du hasard sont devenues plus fréquente malgré le confinement ou grâce à lui, et les saluts les accompagnant, parfois à m’en décrocher la mâchoire.

L’empreinte énergétique de ce nouveau prince charmant dont je me suis éprise, évoquait celle de mon précédent prince, augmentant ainsi son pouvoir d’attraction, et offrant l’illusion d’une version mise à jour de la précédente relation, sans le passif commun. Fourvoiement évidemment.

J’orientais une partie démesurée de mon énergie à son endroit.

Et ce soir je le croisais. Il était avec son amie. Je saluais pour éviter de trahir une quelconque déception ou sentiment d’humiliation. Et je tentais de me consoler par des justifications provenant de l’extérieur et enclines au mépris de l’amour.

De retour à moi, je traverse un inconfortable sentiment d’humiliation, de ridicule, d’inadéquation avec la réalité qui me bloque la poitrine et m’enserre le crâne. J’éprouve de la compassion pour la « petite » moi, triste et profondément déçue et humiliée de ne pas être aimée en retour de l’amour qu’elle offre au monde. Le rejet.

Réitérer ces expériences en m’exposant avec précaution à une situation libérant du matériel traumatique me permet de contacter avec plus de précisions l’endroit de la blessure. Ainsi, je peux sentir cette fissure du cœur, je peux la nommer, et ça fait moins peur. Je peux lui mettre un baume apaisant et cicatrisant (l’écriture est actuellement ce baume). J’observe que ces situations d’expositions aux déchirements de l’enfance sont de moins en moins abusives par rapport à ce que j’ai connu dans un passé récent ou lointain.

L’adulte en moi peut comprendre, grâce au mental-allié, que le type d’amour dirigé vers cet homme était inapproprié pour vivre une relation amoureuse. Et l’exposition, par le biais des rencontres fortuites, subtilement dosée pour extraire la quintessence de l’expérience sans avoir à expérimenter une situation d’abus.

Pour conclure, je voudrai partager une expérience répandue à travers le monde qui consiste à adopter comme réflexe -lorsque je me sens en proie à un débordement émotionnel – le baillônnement de mon chagrin par la consommation de sucre ou de gras (le chocolat mélange les deux c’est idéal…). Or, ce soir, adhérant pleinement à mes blessures de rejet et d’humiliation, je me suis entendue dire à voix haute :  « je ne veux pas mettre du sucré là dessus ! c’est un chagrin que je vis, ça ne mérite pas du sucré dans ma bouche… ». Peut-être ai-je enfin acquis un peu d’une douceur intérieure qui fait office de tampon le temps de trouver le remède le plus adapté au type de blessure.

Cette rencontre m’encourage à poursuivre le tissage de mon cocon.